Par la Rédaction
Illustration : Héloïse Niord-Méry

Cinq ans. Déjà cinq ans que la vague #MeToo a déferlé. En France, des milliers de témoignages ont mis en lumière un système de violences sexistes et sexuelles dans tous les milieux : le cinéma, les médias, l’édition, la publicité, la musique, la danse, le sport ou encore le théâtre. En l’espace de quelques années, le hashtag est devenu un mouvement. Son impact se mesure désormais sur tous·tes, que l’on en soit conscient·es ou non. C’est pourquoi, nous avons demandé à nos lecteur·trices ce que MeToo avait changé dans leur quotidien, dans leur vision de la société, dans leur manière d’appréhender le monde, les relations amoureuses, professionnelles ou amicales.

Voici dix témoignages de femmes, mais aussi d’hommes, de jeunes et de plus âgé·es, pour prendre le pouls, dresser une esquisse de bilan et mesurer le chemin qu’il reste à parcourir.

Claire, 61 ans : “Un avant et un après”

“Dès le début du mouvement #MeToo, j’ai eu très vite l’intuition qu’il y aurait un “avant” et un “après,” quand d’autres pensaient que cette déferlante de la parole des femmes ne serait qu’un feu de paille. La parole des femmes n’était certes pas nouvelle mais cette fois, elle était massive. Et surtout, elle était enfin écoutée, incitant d’autres femmes à oser s’exprimer et dénoncer à leur tour.

Depuis, #MeToo ne cesse de toucher des pans entiers de notre société : cinéma, théâtre, sport, musique, journalisme…. Démontrant que nous ne sommes pas face à des cas isolés de violences sexuelles et sexistes mais bien face à un système, le patriarcat, qui a permis que ces violences durent pendant des décennies, voire des siècles. Ce qui explique qu’elles sont si dures à condamner encore aujourd’hui, à l’instar de l’affaire PPDA. Mais le temps est bien fini où les femmes devaient “passer à la casserole” pour obtenir une promotion. C’est aussi (enfin !) la fin du sinistre “droit de cuissage”. Une pratique que ne regrettent que les vieux machos.”

Arnaud, 35 ans : “Je cherche l’équilibre non-sexiste”

“Depuis #MeToo, énormément de choses ont changé dans mon quotidien. Le mouvement a permis aux femmes de prendre la parole et de donner énormément de visibilité sur tous les obstacles qu’elles rencontrent dans leur quotidien. Aujourd’hui, je réapprends chaque jour à mieux les écouter, à les croire sans contrepartie, à chercher l’égalité ou à défaut un équilibre non-sexiste, dans ma vie personnelle et professionnelle.”

Charlotte, 36 ans : “#MeToo a rendu mon féminisme plus féroce et sûr de lui”

“J’aimerais pouvoir dire que, lorsque j’ai vu la première dépêche tomber sur Harvey Weinstein, puis quand les premiers #MeToo ont fleuri sur Twitter, j’ai pris le mouvement pour ce qu’il était : une déflagration. À l’époque, j’étais toute jeune maman et déjà journaliste. Pourtant, je n’ai pas compris immédiatement l’ampleur du basculement qui s’opérait devant mes yeux : celui de centaines, de milliers, de millions de femmes, qui se levaient toutes d’une voix pour dire : “Moi aussi, j’ai été victime de violences sexistes et sexuelles ». Qui dénonçaient, d’une même voix sourde de colère et d’émotion, un problème séculaire et systémique.

Je n’ai mesuré les ondes sismiques que #MeToo avait provoqué en moi que lorsque les premiers retours de bâton sont arrivés. Ces “elles cherchent juste à couper des têtes”, ces « il faut séparer l’homme de l’artiste ». Et, surtout, quand a paru dans Le Monde cette atroce tribune sur « La liberté d’importuner ». Ces femmes qui en étaient les autrices, je ne voulais pas être associées à elles. Je voulais pouvoir m’indigner contre les hommes qui me collaient d’un peu trop dans le métro. Pouvoir leur hurler dessus, leur en coller une et sentir une vague d’assentiment des passager‧ères derrière moi. Je voulais aussi pouvoir me sentir crue, épaulée, rassurée, si un jour, j’avais dû raconter un épisode douloureux de mon passé. Qu’on ne doute pas de ma parole, qu’on ne me dise pas que je l’avais bien cherché ou que je faisais des montagnes de pas grand-chose. J’ai eu la chance de ne jamais avoir à souffrir de comportements ou de paroles qui auraient pu m’anéantir. Cela n’empêche pas de lire différemment certains événements de mon passé.

François, 31 ans : “#MeToo a bousculé nos habitudes”

“Je ne me souviens plus très bien des prémices de #MeToo. N’étant pas inscrit sur les réseaux sociaux dans lesquels se sont développées les différentes ramifications de #MeToo, j’ai d’abord pris conscience de leurs impacts via leurs traitements dans les médias « grands publics”. Cette visibilisation d’un fait de société massif et transclasse ne m’a pas vraiment surpris, étant déjà sensible aux questions soulevées et aux luttes menées par les mouvements féministes. Toutefois, je crois que #MeToo m’a poussé à me renseigner sur les féminismes vivants et agissants, ceux qui semblaient faire brusquement effraction dans l’espace public. D’un point de vue plus personnel, #MeToo m’a sûrement conduit à travailler sur mes propres agissements, voire sur ma manière de considérer cette virilité qui est mienne et dont je me méfie de plus en plus. Enfin, je crois que #MeToo a bousculé nos habitudes : il continue à infuser dans la société, dans nos manières d’être ensemble, sans que l’on s’en rende compte. Et je crois que c’est aussi une victoire.”

Malo, 22 ans : “Le contexte changeait autour de nous”

“Quand l’affaire a éclaté, j’étais encore au lycée, et je me souviens qu’à l’époque pas mal de mes copines subissaient des violences dans leur couple. Avec le recul, je ne pense pas qu’elles se seraient senties légitimes de parler sans #MeToo. Leur parole a été crue, parce que le contexte changeait autour de nous. Aujourd’hui, je suis plus conscient de certaines choses.”

Marine, 34 ans : “Je n’ai pas tout de suite mesuré l’ampleur de #MeToo”

“Je me souviens très clairement du jour où l’affaire #MeToo a éclaté. Ma déconstruction et ma réelle prise de conscience des enjeux liés aux droits des femmes s’est opérée à la même époque. Alors forcément, assister à un phénomène de société comme #MeToo a contribué à changer ma vision de la société. Pourtant, je me souviens avoir pensé à l’époque que, comme d’autres mouvements sociétaux nés sur internet, l’effet provoqué par ce mouvement risquait de retomber comme un soufflé. Heureusement, je me trompais ! #MeToo a ancré l’idée forte et puissante que l’époque où les femmes « devaient » se taire est révolue. Cinq ans plus tard, je me surprends souvent à dire à propos d’une affaire d’abus sexuel rendu publique : « Avant #MeToo, ce serait sans doute passé inaperçu ». Mais j’ai conscience que la révolution est loin d’être terminée. Je me sens encore profondément sidérée lorsque j’entends parler de « délation » ou de “tribunal médiatique” ou lorsque l’on brandit la présomption d’innocence à tout bout de champ, oubliant trop souvent la victime et sa présomption de crédibilité.“

Fabrice, 63 ans : “La réaction des hommes de mon âge ne cesse de m’étonner”

“Beaucoup parmi mes amis de ma génération poussent des cris d’orfraie devant l’activisme de #MeToo, traitant sans hésiter ses adeptes de “terroristes”. Cette réaction ne cesse de m’étonner. Alors, je leur assène la thèse selon laquelle les hommes qui ont peur de #MeToo n’ont peut-être pas la conscience tranquille. Auraient-ils quelque chose à se reprocher ? Je ne veux pas le savoir, je n’ai pas l’esprit flic. Mais il me semble contre-productif de combattre un mouvement d’émancipation comme le combat féministe. C’est aller dans le sens contraire de l’Histoire. Quant à la radicalité de ce combat, elle ne fait que répondre à une autre radicalité, celle qui sévit depuis des décennies à l’encontre du droit des femmes. Toutes les fibres de notre tissu social sont aujourd’hui tendues, au bord de la rupture pour certains. Les méthodes de #MeToo y contribuent certes. Mais si tel est le cas, considérons-le comme un mal nécessaire. De toute façon, les révolutions de velours sont rares.”

Elsa, 40 ans : “Où sont les Weinstein et les Cosby français ?”

“MeToo, ça a tout changé et rien à la fois. Le fait de parler des violences patriarcales a rendu le sujet populaire dans les médias. Et pour moi qui suis journaliste et féministe, ça a permis de proposer des sujets que j’avais longtemps voulu traiter, mais que l’on me refusait toujours. Hollywood impliqué, il y avait désormais un intérêt pour ces thématiques. Je ne sais pas si Sorocité existerait sans MeToo. Si les centaines de livres féministes qui sont sortis ces derniers mois auraient trouvé une maison d’édition et leur public sans MeToo. Mais si le sujet est médiatisé, presque devenu tendance (coucou le femwash), il n’a pas eu l’écho escompté dans la “vraie” réalité. En France, les Darmanin et autres PPDA ne sont toujours pas inquiétés par la justice. Malgré MeToo, le délai de prescription protège encore les bourreaux.”

Quentin, 36 ans : “#MeToo a créé une psychose chez les hommes”
“Je bosse dans l’aérien, et c’est un milieu très mixte dans lequel on parle beaucoup de sexe. Depuis MeToo, je me suis rendu compte que je fais beaucoup plus attention à ce que je dis, pour ne pas blesser, ou heurter la personne en face. Je pense que ça a un peu créé une psychose du côté des hommes, la peur notamment d’avoir des problèmes avec les ressources humaines.”

Caroline, 28 ans : “Il y a urgence à agir”

“#MeToo m’a permis d’avoir des discussions difficiles, mais nécessaires, avec de nombreuses femmes de mon entourage. Elles m’ont fait prendre conscience du fait que je ne suis malheureusement pas la seule à avoir subi des violences et autres comportements inappropriés de la part d’hommes. J’en avais conscience auparavant, mais je n’avais pas pris la mesure de l’ampleur du phénomène. Il est vital d’avoir ce genre de conversations, aussi désagréables et dérangeantes soient-elles, pour que chacun et chacune se rendent compte qu’il y a urgence à agir. La question des violences faites aux femmes nous concerne tous et toutes.”

Publié par :sorocité

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